Des soupirs et des rhums

L'époque des festins se profile peu à peu à l'approche de l'été... Hier après-midi (samedi) j'ai donc vraiment renoué avec la plus pure tradition du farniente citadin en errant dans la ville, sans but précis, mais avec une idée fixe qui consiste à prendre le plus de plaisir possible, sans m'attarder le moins du monde sur d'éventuelles contraintes matérielles ou financières. Mon compte en banque flambe énormément depuis trois semaines mais je ne veux toujours pas connaître le total de mes dépenses. Ce ne serait pas indiqué pour un coeur déjà usé par les affres de l'amour et de la passion. Oui, je suis romantique et je n'ai pas honte de l'avouer, même à ceux qui pensent que ce genre d'idéalisme comporte quelque chose de ringard. Je prends du bon temps car j'en ai un besoin vital. Et surtout parce que je peux me le permettre : j'en abuse donc au plus haut point et les retours à la maison se transforment parfois en de véritables expéditions au cours desquelles il m'arrive de perdre le sens de l'orientation et de tourner en rond, un peu comme la dernière fois où j'ai fait deux fois le tour d'une grande place de Paris sans même m'en rendre compte, persuadé que j'étais de suivre une ligne droite...

Un ami m'accompagnait lequel avait un grand besoin de se changer les idées, car il venait de succomber à un coup de foudre qui le minait et lui taraudait l'esprit. C'est ainsi que nous parcourûmes la ville à pied en suivant une trajectoire elliptique qui nous fit traverser les quartiers du Châtelet, de Saint-Germain-des-Prés, puis les Invalides où nous nous sommes assis pendant une heure pour mieux apprécier les fortes bourrasques d'un vent doux soufflant du sud, provenant peut-être du Lavandou... C'est en arrivant aux Champs-Elysées que nous vîmes le très sympathique Paulo Coelho en train de dédicacer son nouveau bouquin au Virgin Megastore. Puis nous eûmes envie de boire un coup. Quoi de plus normal avec ce vent qui desséchait l'atmosphère ? Nous avons donc continué notre marche en passant devant l'Elysée, La Madeleine puis l'Opéra avant d'arriver sur les Grands Boulevards. Pas de bars en vue, uniquement des brasseries bourgeoises sans ambiance. Déçus par cette constatation (il est effrayant de voir comme tout fout le camp), nous nous sommes engouffrés dans le Hard-Rock Café, sans conviction réelle et davantage pour essayer. Je commandais un cocktail, un Purple Haze, savant mélange de vodka Smirnoff, de rhum et de gin Beefeater. Je sirotais cette extraordinaire mixture, accoudé au bar tout en étant à-demi affalé sur un large fauteuil, contemplant les myriades d'écran plasma diffusant des clips rock pour toutes les générations. Et, l'alcool aidant, je me remémorais le couplet de Jimi Hendrix :

                            Purple Haze all around,
                           Don't know if I'm coming up or down.
                                 Am I happy or in misery?
                                Whatever it is, that girl put a spell on me!
                         Help me, help me...

En quittant le bar, je me sentais bien, complètement fatigué d'avoir autant marché et passablement éméché d'avoir siroté cette boisson traîtresse.
Nous prîmes le métro direction Bastille, point de départ pédestre vers la rive gauche. En traversant la Seine, nous entrâmes dans un restaurant au look western où je dégustais une bonne entrecôte pour me requinquer. Un litre de vin californien coula à flots dans nos verres asséchés par le dialogue que nous entretenions à grands coups de questions existentielles, parlant de tout et de rien mais surtout des femmes que nous aimions ou que nous aurions aimées. Quelle insolente insouciance : nous étions saoûls ! Cela faisait bien longtemps que je n'avais goûté une telle décontraction. Pour boucler ce mémorable périple, nous repartîmes vers Notre-Dame puis le métro Châtelet : en une seule journée nous avions fait le tour de la ville, sans même nous en rendre compte...