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Preux-Chevalier
24 juin 2007

De l'observation considérée comme un voyage

Quel titre étrange, me direz-vous ? Eh bien pas tout-à-fait. En me baladant sur les bords de Seine, ce dernier vendredi et en dissertant des choses de la vie avec mon ami G. le "super-libraire" (que je surnommerai désormais Looping pour des raisons pratiques et puis parce qu'il est aussi facétieux et déjanté que le personnage du même nom que l'on pouvait voir dans la série Agence tous risques), donc, moi et lui, nous observions, avec nos allures de flâneurs, les différents détails qui peuvent ainsi s'offrir à la vue des promeneurs avertis. Interloqués par une plaque de métal encastrée dans la muraille du quai, nous nous approchâmes de plus près pour constater qu'il s'agissait d'un vestige de ces anciens repères géodésiques du Nivellement de la France qui ont presque tous disparu aujourd'hui, détruits ou bien volés par quelques collectionneurs peu scrupuleux. Un homme âgé et d'une certaine prestance, plutôt bien vêtu, arriva à notre hauteur et, indiquant de son parapluie-canne (griffé Pierre Cardin) la base de la muraille, nous demanda ce qui nous intriguait ainsi. En général, quand quelqu'un vous aborde ainsi à Paris, la première réaction est de douter des intentions de l'inconnu, créant par là-même une atmosphère suspicieuse et lourde qui ne facilite guère la communication en visant à l'abréger de suite. Ni moi ni Looping ne fuyont les gens, ce sont plutôt les gens qui nous fuient lorsqu'ils constatent que nous sommes bien plus graves qu'eux... Trêve de plaisanterie, le distingué monsieur nous révéla qu'il était heureux de voir des jeunes gens comme nous qui savent encore observer, voir et regarder le monde autour d'eux. Chose si rare de nos jours. Les gens ne voient plus ce qu'ils regardent. Ils voient sans voir, ils ne prennent pas le temps de se retourner.
Pendant que le type nous parlait, je l'observais attentivement et j'aperçus à son poignet droit une gourmette en argent sur laquelle était gravé : "Jean Adam - 1930 - Alger". Diantre! il était drôlement bien conservé le bougre! Je ne sais plus exactement comment il vint à évoquer les Dardanelles et l'accident qu'il eu au sommet d'un monument dédié aux victimes des nombreuses batailles qui ensanglantèrent longtemps cette région stratégique aux portes de l'Orient. Au début, j'avais parlé de la pile d'un pont de la Seine et il avait renchéri en nous parlant du Zouave du Pont de l'Alma, nous faisant progressivement et poétiquement voyager vers l'Orient sans que nous ne songeâmes à l'interrompre, subjugués par ce ton calme et reposant d'un homme qui a dû vivre de belles et grandes choses. Il nous confia que sa promenade avait eu un but précis : faire les six kilomètres de marche nécessaires à une bonne fatigue afin de mieux s'endormir le soir. Je pense qu'il fut encore plus heureux de savoir que le témoignage des choses passées continuerait après lui et que, malgré tous ces gens qui ne se parlent plus, certains seront encore là pour écouter ceux qui, bientôt, ne seront plus et ils guideront les autres par-delà les ténèbres de l'oubli.
Je suis persuadé que ce promeneur solitaire a dû dormir d'un sommeil de plomb. De ce même plomb qui, comme il nous l'apprit au cours de ces quelques minutes de discussion très prenante, doit à la Tour Saint-Jacques - dont il attend avec impatience la rénovation - d'avoir évité la destruction (des plombs de chasse y étaient autrefois fabriqués en laissant tomber les gouttes de métal en fusion du haut de ses 54 mètres : ils avaient ainsi le temps de s'arrondir durant leur chute vertigineuse), survivant ainsi aux affres de l'urbanisation galopante.

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